Monographies - Les villas aristocratiques
La villa Primavera
Villa Primavera. Vue partielle de la façade nord, vers 1920. Dans "Villa de la Côte d'Azur" / s.a, Paris: Ch. Massin & Cie, 1926.
La villa Primavera, commanditée par le Parisien Alphonse Lenoir est l’un des rares édifices portant la signature de l’architecte, Demerlé, originaire de Paris, et la date d’achèvement des travaux, 1911.
Lors de sa division, en 1952, les cages d’escalier ont été fermées, le jour zénithal du vestibule obturé et les peintures murales recouvertes d’un enduit blanc. Au cours de l’année 2000, celles situées dans l’un des deux appartements créés au rez-de-chaussée ont été dégagées et restaurées.
Villa Primavera. Avant-corps circulaire de la façade sud.
La villa a un plan symétrique composé de deux axes perpendiculaires, l’un nord-sud, l’autre est-ouest, de deux ailes obliques tournées vers le nord et de deux avant-corps, l’un rectangulaire, au nord, l’autre semi-circulaire, au sud. Elle s’élève sur quatre niveaux dont deux étages de soubassement consacrés aux communs et éclairés du côté nord par une cour anglaise.
Extérieurement, la villa étonne par la modernité qu’expriment la netteté des volumes, la nudité des façades, les balcons filants, les garde-corps et parapets ajourés en terre cuite et l’ampleur des baies vitrées. Seuls la façade en pronaos ornée de bas-reliefs à l’antique et les deux portails du jardin constitués chacun d’un pilier couronné d’un cratère (aujourd’hui remplacé par un sphinx) et d’une colonne dorique surmontée d’un sphinx, inspirée de la colonne des Naxiens de Delphes, annoncent le style néo-grec décor intérieur.
Pour la conception du rez-de-chaussée, le commanditaire a souhaité un intérieur archéologique, aussi vraisemblable que celui de la villa Kérylos, à Beaulieu-sur-Mer. Cependant, il s’en démarque par son insertion dans une maison moderne, certes conçue selon des principes de distribution antiques, mais enrichie d’éléments puisés dans l’architecture néo-classique et moderne.
Le décor intérieur
Villa Primavera. Détail des peintures du vestibule.
Les ressemblances entre les mosaïques, les peintures et les luminaires des deux villas permettent d’avancer qu’ils sont l’œuvre des mêmes artistes et artisans.
Toutefois, l’unité de conception et de décor des meubles de la villa Kérylos, tous dessinés par l’architecte Pontrémoli, en accord avec le caractère archéologique de la villa, ne se retrouve pas à la villa Primavera, dont les meubles sont pour la plupart de style Empire rehaussé d’éléments antiquisants.
Villa Primavera. Détail du linteau de cheminée du bureau, incrustation de pierre.
Villa Primavera. Le bureau-bibliothèque.
Le décor de la villa, fait de peintures, sculptures, mosaïques, incrustations de pierre ou de bois, envahit le sol, les murs, les plafonds, les cheminées et les portes avec leurs poignées.
Une distribution inspirée de l’Antiquité
Villa Primavera. La salle à manger avec son mobilier, vers 1920. Dans "Villa de la Côte d'Azur" / s.a, Paris: Ch. Massin & Cie, 1926.
Villa Primavera. Le bureau-bibliothèque, vers 1920. Dans "Villa de la Côte d'Azur" / s.a, Paris: Ch. Massin & Cie, 1926.
Au rez-de-chaussée, le corps central est composé de pièces entièrement consacrées à la réception, disposées sur l’axe nord-sud : une entrée, un vestibule, un salon et une loggia. Cette distribution reprend celle des maisons antiques où s’enchaînent vestibule, atrium, tablinum et péristyle. Une salle à manger et un bureau-bibliothèque sont aménagés de part et d’autre du salon. L’illusion d’un intérieur de maison antique est renforcée par le choix du décor.
L’entrée de la villa s’effectue dans un vestibule de plan cruciforme, traité à la façon d’un atrium ; chacun des côtés est creusé d’un volume souligné par des colonnes doriques, afin de rappeler les galeries antiques. Celui du nord, hors-œuvre, tient lieu d’entrée avec une façade traitée en forme de pronaos dorique dont seule la travée centrale est percée d’une porte. Les autres permettent de communiquer avec le reste de la maison.
Villa Primavera. Le vestibule avec son mobilier, vers 1920. Dans "Villa de la Côte d'Azur" / s.a, Paris: Ch. Massin & Cie, 1926.
Le vestibule proprement dit remplace l’impluvium antique par un jour ouvert sur le premier étage et éclairé par une verrière zénithale. Ce jour, de forme circulaire, bordé d’une rampe en fer forgé, est inspiré de l’architecture néo-classique.
Au sud, le salon est l’équivalent de l’antique tablinum et la loggia ponctuée de piliers cylindriques peut être interprétée comme une réminiscence du péristyle antique destiné à clore la perspective de l’axe de composition.
De chaque côté du vestibule, ont été aménagés un office, l’escalier de service, l’escalier principal et deux dégagements permettant de desservir une chambre et une lingerie placées aux extrémités des ailes. Parce qu’elle sont situées à la périphérie de l’axe, ces deux dernières pièces ont une structure moderne avec de larges baies vitrées pourvues de menuiseries métalliques qui remplacent la quasi-totalité du mur.
Les mosaïques
Villa Primavera. Mosaïque du vestibule
La mosaïque du sol du rez-de-chaussée rassemble principalement des motifs non figuratifs : tresses, palmettes, grecques, damiers, dents de scie, spirales, postes, croix et deux scènes figurées isolées dans des cadres. Dans le vestibule, le motif circulaire, composé de lignes hélicoïdales, est inspiré d’une mosaïque provenant de l’ancienne villa Campanari, conservée au Musée national de Rome, via sa réplique dans la salle à manger de Kérylos.
Villa Primavera. Panneau de mosaïque situé dans l’ancienne salle à manger.
Au centre, le médaillon représente des satyres occupés à vendanger autour d’un masque, évocation de Dionysos. Cette représentation, dont le style renvoie aux céramiques à figures noires du début du VIe siècle, adopte la composition circulaire du décor de certaines coupes antiques. Le thème du vin est repris dans un panneau peint au-dessus de la cheminée de la salle à manger, par deux satyres en train de fouler le raisin.
Dans la même pièce, du côté est, un panneau de mosaïque de sol symbolise l’harmonie du foyer, figurée par un coq et une poule : un thème traité de façon similaire dans le vestibule de la villa Kérylos par une vraie mosaïque antique.
Les peintures murales
Villa Primavera. Décor peint situé dans l’angle nord-est du vestibule.
Le programme décoratif des peintures, conçu dans un style assez libre, parfois influencé par l’Art Nouveau ou l’art du Japon, emprunte certains motifs ou schémas de composition à des scènes figurées sur les vases grecs à figure rouge de la période archaïque.
On reconnaît, parmi les personnages, Dionysos représenté ivre, à droite de la porte d’entrée, avec sa barbe, sa longue robe et son canthare dans la main gauche. Du côté opposé, apparaît un vieillard barbu, assis sur un siège dont la forme est proche d’un modèle de chaise dessiné par l’architecte Pontremoli pour la bibliothèque de la villa Kérylos. La scène située à l’extrémité nord du mur est évoque le combat entre Pélée et Thétys, identifiables par la présence du lion et du serpent.
Villa Primavera. Décor peint situées dans l’ancien salon.
Le décor change de nature dans l’ancien salon et prend un caractère beaucoup plus ornemental.
A l’exception des frises historiées situées en partie haute des murs et du panneau central où préside la figure d’Athéna, les murs sont animés de motifs variés, non figuratifs, disposés à l’intérieur de cadres formés par des grecques. La succession de personnages qui composent la frise forme un enchaînement de scènes séparées par des motifs végétaux, architectoniques ou par la posture des figurants qui s’affrontent ou s’opposent. Sur le mur ouest, se déroule une frise composée de musiciens. Parmi les nombreux personnages représentés, certains sont inspirés de modèles antiques. Le groupe de ménades situé dans l’angle nord-est de la pièce pourrait avoir été en partie copié sur un vase datant de 490-485 av. J.-C., conservé au Staatliche Antikensammlungen de Munich.
Le décor peint de l’ancien bureau-bibliothèque a pour thème l’histoire de Thésée, contée par un aède figuré dans un cadre, au-dessus de la cheminée.
Sept panneaux rectangulaires, disposés en partie haute des murs et au-dessus des portes, racontent les épisodes de la vie du héros. Certains sont identifiés : l’enlèvement d’Antiope dans le médaillon central entre les deux portes du côté est, le combat entre Thésée et Sciron à sa droite, suivi du combat avec Cercyon et du sacrifice du taureau de Marathon.
Plus loin, sur le mur sud, est représentée la lutte contre les centaures lors des noces de Pirithoos. Les autres scènes évoquent des batailles et les combats menés avec Héraclès, vêtu de la peau du lion de Némée. Le registre inférieur, qui n’a pas été restitué lors de la restauration, était composé de motifs non-figuratifs qui simulaient les broderies d’une tenture. Un soin tout particulier a été accordé au linteau de la cheminée en marbre blanc, sur lequel figure une course de chars réalisée en impastations polychromes rehaussées de peinture, au dessin s’inspirant des céramiques grecques.